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Dimanche 14 juin 2020 – Le Saint-Sacrement du Corps et du Sang du Christ Année A

Tous les aliments sont dangereux

Deutéronome 8,2-3.14b-16a - Psaume 147,12-15.19-20 - 1 Corinthiens 10,16-17 – Jean 6,51-58

dimanche 14 juin 2020, par Marc Lambret

Selon Paracelse, souvent cité mais toujours déformé, « tout est poison et rien n’est sans poison ; la dose seule fait que quelque chose n’est pas un poison ». Cette ambivalence de la nourriture, nécessaire à l’existence et capable de toxicité, en redouble une autre plus radicale que l’on peut résumer ainsi : pour vivre, il faut se nourrir, mais pour se nourrir il faut tuer. C’est la règle pour tous les animaux, sachant que même les herbivores sont visés, puisque les végétaux qu’ils détruisent en les mangeant relèvent également du vivant.

Pour pratiquer ce régime carnivore, consenti par Dieu après le Déluge, l’homme perce de traits la bête convoitée : elle perd son sang et meurt. Ensuite seulement il peut manger sa chair. D’où l’équation lisible dans toutes les cultures : le sang, c’est la vie. Quant au peuple de l’Alliance, par respect pour le Vivant qui s’est révélé à lui, il reçoit et observe l’interdit de le consommer. C’est pourquoi la victime sacrifiée est égorgée et saignée, puis partagée « en communion » par ceux qui l’offrent.

Le sacrement que nous fêtons aujourd’hui se détache clairement sur cet arrière-plan : le Christ s’offre à manger « chair et sang », c’est-à-dire comme corps vivant et non mort. C’est bien Jésus, cet homme né d’une femme qui a mené son existence d’amour jusqu’au sacrifice ultime, où il est mort effectivement, qui se donne en nourriture. Mais il se donne vivant parce qu’il est ressuscité. C’est ainsi que « tous les sacrifices de l’ancienne Alliance trouvent en celui-là leur accomplissement ».

L’objet qui occupe le bas de notre autel, dans cette basilique Sainte-Clotilde, rassemble les symboles de l’événement eucharistique : les fonts baptismaux en forme de coupe évoquent le sacrifice de la croix, « la coupe que le Père donne à boire au Fils et le baptême dans lequel il est plongé », et la colombe indique l’Esprit par la puissance de qui il est ressuscité. Ainsi le mystère pascal du Christ est bien le fondement de son aptitude à se donner aux fidèles en nourriture de vie éternelle.

Or, cet aliment divin est dangereux lui aussi, parce que celui qui communie « sans discerner le corps mange et boit sa propre condamnation ». Ce discernement du corps ne signifie pas seulement la foi en la « présence réelle », mais aussi la reconnaissance du corps ecclésial, de la communauté de foi et de charité créée par la communion eucharistique. Donc, la participation à ce « banquet pascal » implique pour chacun l’engagement de vivre en disciple de celui qui est allé jusqu’au sacrifice suprême, solidaire de l’ensemble des croyants et acteur avec eux de l’annonce de l’Évangile à tous les hommes au prix même de sa vie.

Le pain eucharistique nous est offert justement pour nous donner la force de rendre ainsi témoignage au Seigneur en accomplissant la mission qu’il nous confie, quelles que soient les épreuves qu’elle entrainera pour nous. Le sang du Christ, c’est sa vie dont nous vivons, même à travers la mort, pourvu que nous embrassions son amour en paroles et en actes. C’est donc aussi la coupe de la joie des Noces où nous buvons le vin nouveau du Royaume en anticipation du banquet éternel en la béatitude divine.

Communier au corps et au sang du Seigneur en mémoire de lui comme il nous a dit de le faire, c’est « recevoir sa coupe », c’est accepter de vivre dangereusement aujourd’hui. Mais c’est ainsi accueillir en vérité la vie que Dieu donne à tous, c’est-à-dire avec l’espérance ferme que la vie éternelle y soit déjà engagée.