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Dimanche 21 juin 2020 – Douzième dimanche Année A

Vous n’allez pas être contents

Jérémie 20,10-13 – Psaume 68,8.10.14.30-31.33-34 – Romains 5,12-15 – Matthieu 10,26-33

dimanche 21 juin 2020, par Marc Lambret

Cette entrée en matière est une stratégie parmi d’autres pour se risquer à dire des choses qui fâchent : de toutes façons, ce sera difficile, alors, allons-y carrément !

Dans le Nouveau Testament, ce choix est plutôt celui d’Étienne que de Paul. Interrogé par le Sanhédrin, le premier des diacres prononce un discours fleuve qui ne ménage pas ses auditeurs, jusqu’à l’exorde directement accusateur qui se conclut de cette façon lapidaire : « Vous qui avez reçu la loi sur ordre des anges, vous ne l’avez pas observée. » Ces derniers lui répondent du tac au tac en le lapidant, faisant de lui aussi le premier des martyrs.

L’on sait que Paul était parmi les offensés, du temps qu’il s’appelait encore Saul et se trouvait sans doute trop jeune pour jeter la pierre, mais assez résolu pour garder les manteaux des bourreaux. Par la suite, il deviendra l’Apôtre des Nations, non sans prêcher d’abord et surtout aux juifs, ses coreligionnaires, mais avec plus de tact que son prédécesseur dans l’exercice. Pourtant, si attentif qu’il fût à argumenter prudemment dans les synagogues, il finira par s’attirer l’hostilité de ses auditeurs au point de subir leur violence à plusieurs reprises, jusqu’à manquer mourir, lui aussi, sous une grêle de pierres.

Du tact, il en montrera surtout dans son adresse aux grecs d’Athènes, ménageant ces païens cultivés avec habileté jusqu’au moment où, évoquant la résurrection, il perdra l’oreille et l’estime de l’Aréopage. D’ailleurs, auparavant, d’autres « gentils » s’étaient parfois alliés aux juifs irrités pour lui faire subir des peines cruelles et outrageantes. En somme, juifs ou païens, les auditeurs de l’annonce évangélique s’en trouvent souvent fort fâchés. Pourquoi ? Qu’est-ce qui dispose donc les hommes à mal accueillir une si « bonne nouvelle » ?

Pour les juifs, l’explication est à chercher d’abord du côté de la perte d’exclusivité dans l’élection qu’implique l’annonce d’un salut offert à tous, par l’entrée de toutes les Nations dans l’Alliance d’abord conclue avec le seul Israël. Ce n’est pas seulement le sacrifice d’un privilège qu’exige ainsi d’eux l’accueil de l’Évangile, mais aussi l’abandon de toute illusion de « justice » obtenue par la pratique de la Loi, et la reconnaissance de l’état de pécheur en absolu besoin de la grâce du pardon et de la miséricorde que Dieu faits à ses ennemis, au même titre que les païens. Sans compter les problèmes pratiques qu’allait poser l’extension des communautés aux non-juifs, pour eux qui jouissaient aussi d’une exemption religieuse dans l’Empire romain.

Du côté des païens, le choc culturel était considérable : une doctrine qui valorisait la pauvreté et l’humilité, la douceur et l’amour des ennemis, entrait frontalement en opposition avec les valeurs traditionnelles des Grecs, et plus encore des Romains. À vrai dire, tout le monde a toujours vanté la force et la domination, la richesse et la satisfaction, la fierté et l’intimidation.

En fait, d’un côté comme de l’autre, le problème radical était le même, à savoir le renoncement à soi-même qu’impliquait l’accueil de cette bonne nouvelle. Si bien que, d’un côté comme de l’autre, cet accueil était plus facile pour les petits et des pécheurs que de la part des grands et des riches, de ceux qui s’estimaient justes. D’où la phrase énigmatique de Jésus, reprenant Isaïe, qui dit être venu apporter la bonne nouvelle aux pauvres. Eh bien, mes amis, le problème est toujours le même aujourd’hui, et il le restera jusqu’à la fin des temps.

C’est pourquoi le Seigneur dit en substance à ses Apôtres : « Vous n’allez pas être contents ». En effet, dans ce chapitre 10 de Matthieu qui rapporte l’envoi en mission des Douze, avant le passage que nous venons d’entendre, Jésus les prévient : vous allez être détestés de tous, molestés et persécutés. Or, l’avertissement vaut, nous l’avons dit, pour tous ceux qui annoncent l’Évangile depuis le début, donc pour nous aussi. Il y a de quoi avoir peur, mais le Seigneur nous rassure aujourd’hui à trois reprises : « Ne craignez pas ».

L’exemple qu’il nous donne est saisissant : pas un moineau ne tombe à terre « sans votre Père ». Cette traduction littérale est bien plus juste et forte que celle de la liturgie qui glose : « sans que votre Père le veuille ». D’une part, le Père ne veut la mort d’aucun vivant, pas même d’un moineau, de l’autre, il « accompagne » tout être de son amour jusqu’au bout. Voilà ce dont nous sommes témoins, et voilà pourquoi, même si nous ne sommes pas toujours contents des avanies et des tribulations que nous valent la mission, nous connaissons la béatitude du Seigneur qui a dit : « Heureux, vous, les pauvres ».