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Dimanche 6 décembre 2009 - 2e dimanche de l’Avent année C

Histoire de Femme

Baruc 5,1-9 - Psaume 125,1-6 - Philippiens 1,4-6.8-11 - Luc 3,1-6

dimanche 6 décembre 2009, par Marc Lambret

Historique : ne pas confondre avec hystérique. Quoi que. Ces deux mots diffèrent par leurs origines grecques bien distinctes. Le premier vient de “historia”, qui signifie “enquête”, “recherche”, et ensuite le résultat de ce travail : l’histoire. Le second dérive de “hustéra”, la matrice féminine, l’utérus. De là, en effet, semblaient venir certaines pathologies nerveuses très démonstratives, qualifiées dès lors d’hystériques.

Rien de commun donc, à première vue, entre les deux mots. Pourtant, curieusement, l’hébreu biblique pour “histoire” est ”tolédot”, rendu habituellement par “genèse”, “généalogie”, et que Chouraqui traduit “enfantements”. Nous y voilà.

Pour les Grecs, l’histoire était le récit qu’on faisait de certains événements plutôt que ces événements eux-mêmes. L’œuvre littéraire et la réflexion de l’auteur importaient plus que les faits rapportés et leur authenticité. Notre culture scientiste prétend à davantage de rigueur dans l’enquête, c’est pourquoi elle appelle histoire les faits avant leur relation par l’historien. Ce dernier reste pourtant souvent plus motivé par l’idéologie qu’il inscrit dans son récit que par l’intérêt qu’il porte à l’objet de sa recherche.

Par son usage biblique, le seul mot de tolédot constitue une révélation : l’histoire n’est ni une simple succession d’événements ni l’idée qu’on peut s’en faire, mais une gestation. Au fil de l’aventure de l’Alliance, Israël en vint même à discerner dans la masse confuse des batailles, des fortunes et des tribulations du peuple élu qu’il s’agissait précisément de la gestation du règne de Dieu sur la terre, règne dont l’établissement se trouverait étroitement lié à la venue du Messie.

À la pleine lumière de Pâques, cette intuition devient ferme proclamation : le règne de Dieu n’est autre que la personne même du Messie, le Christ Jésus, Fils de Dieu venu dans la chair jusqu’à la mort de la croix, ressuscité, élevé dans les cieux, et qui viendra dans la gloire. En ce temps de l’Avent, donc, nous inscrivons dans notre préparation à Noël, fête de la Nativité du Seigneur, notre joyeuse attente de son dernier avènement, à la fin des temps.

Qui porte le Messie jusqu’à son enfantement parmi les hommes ? La Vierge Marie. Qui le porte jusqu’à la Parousie ? L’Église. La fin du monde que nous attendons est un enfantement qui se prépare dans l’obscurité de l’histoire des hommes. Si saint Luc prend soin de situer dans le temps avec précision la vocation de Jean-Baptiste par la mention des différents rois, gouverneurs et grands prêtres en fonction à ce moment, selon la manière de dater les événements à son époque, c’est qu’il n’y a rien d’aussi historique que la venue de Dieu en notre monde.

Concevoir un enfant est la chose la plus naturelle et la plus prodigieuse du monde. La matrice de la femme, ce creux en elle fait pour être rempli d’une vie nouvelle, la pousse irrésistiblement à accomplir sa vocation à la maternité. En même temps, elle peut craindre cet envahissement propre à la bousculer profondément dans sa chair. Rien d’étonnant si, prise entre les mouvements contraires de son désir et de ses craintes, elle se trouve réagir de façon parfois intempestive : désirs ou dénis de grossesse, fuite de l’homme ou tentatives compulsives d’attirer son attention, tourment de ce vide en elle que rien ne saurait remplir comme il faudrait ou négation de sa féminité, la variété des perturbations hystériques possibles n’a d’égale que celle des stratégies masculines pour les fuir, surtout chez les mâles immatures.

Rien d’étonnant, donc, si l’Église présente toutes sortes de manifestations plus ou moins pathologiques dans la réalisation de sa maternité divine, car elle est composée d’êtres humains marqués par le péché, à la différence de la toute sainte Mère de Dieu. Néanmoins, si nous voulons préparer les chemins du Seigneur qui vient, il n’est pas de moyen plus sûr que de servir l’Église.

Le sommet de Copenhague est sûrement un moment historique, mais je ne suis pas certain que les manifestations hystériques qui prétendent forcer sa réussite hâtent la venue du Messie. En revanche, si nous nous convertissons, si nous nous détournons du péché en sacrifiant nos passions humaines à la cause de la justice et de la paix, nous traçons une route toute droite et bien plane pour Celui qui vient dans le monde accomplir l’histoire des hommes par le salut de Dieu.