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Dimanche 13 décembre 2009 - 3e dimanche de l’Avent année C

Liberté, Égalité, Fraternité : très bien, mais par où commencer ? ou Carmen : libre et républicaine ?

Sophonie 3,14-18a - Cantique Isaïe 12,2.4-6 - Philippiens 4,4-7 - Luc 3,10-18

dimanche 13 décembre 2009, par Marc Lambret

Selon Tocqueville, si les républicains mettent fièrement en avant la liberté, elle est en réalité secondaire pour eux, car ils nourrissent surtout la passion de l’égalité, ce que vérifient constamment les événements. En somme, je dirai que l’égalité est “la légitime” du révolutionnaire, à qui elle dicte ses décisions, tandis que la liberté est sa maîtresse, « la chose enivrante » pour lui.

Curieuse expression, n’est-ce pas ? Elle se trouve sous la plume de Meilhac et Halévy, dans le livret de Carmen, l’opéra de Bizet tiré du roman de Prosper Mérimée. Quand les contrebandiers vantent au pauvre Don José la vie qu’ils mènent et qu’il s’apprête à embrasser sans enthousiasme, ils concluent avec emphase : « Et surtout la chose enivrante, la liberté ! »

Les commentateurs patentés le clament à qui mieux mieux, Carmen est une femme libre. Liberté signifie ici avant tout “amour libre”, bien sûr, « amants à la douzaine » et leur renvoi possible en tout temps à la guise de la donzelle. Comme une évidence, la mort plane sur ce tableau que remplit la violence. Elle ne manquera pas de frapper sans retour à la fin, mais son oeuvre de destruction s’accomplit depuis le début, en particulier sur la personne du malheureux beau brigadier jeté très tôt en prison. Cette expérience précoce n’est d’ailleurs que le symbole de l’enfermement qui le broie peu à peu.

Ironie de l’histoire, cette liberté dont Prosper Mérimée, républicain convaincu, n’entendait sans doute pas faire le procès, se révèle ainsi le piège infernal d’une terrible illusion. « Tu n’auras plus de capitaine ni même de lieutenant, tu pourras faire ce que tu voudras » chantent les compagnons de Carmen à Don José. Nous n’avons pas attendu les temps modernes pour connaître le chant du serpent à nos premiers parents et le résultat de leur triste séduction. Cette prétendue libération par la suppression des liens avec Dieu et maîtres est la suggestion même du diable qui sait bien que la mort dans toute son horreur en est le salaire.

Nous en parlions ici même mardi dernier, 8 décembre, en la fête de l’Immaculée Conception. Pour nous sauver du piège infernal de la libération par la suppression, Dieu nous a montré le chemin de la liberté par l’union en la personne de la Vierge Marie : elle est libre d’accepter le don de Dieu parce qu’elle est remplie de l’Esprit Saint. La liberté de choisir le bien ou le mal est un régime dégradé de la liberté. En Dieu, la liberté est parfaite : elle n’envisage même pas le choix du mal comme possible ; elle est liberté de l’amour qui ne fait rien de mal à autrui. Unie à cet Amour, la Vierge Marie est libre comme lui.

Bien entendu, Jean-Baptiste n’indique pas un autre chemin aux foules qui lui demandent : « Maître, que devons-nous faire ? » À tous il commande de partager. Partager le vêtement, c’est partager le corps ; partager la nourriture, c’est partager la vie. Ce commandement est celui de la fraternité, cette grande oubliée de la devise républicaine, d’une fraternité concrète, physique. Sans oublier la recommandation de ne faire aucun tort à autrui, ni à ses biens, ni à sa personne. En somme, il s’agit de vivre réellement l’amour de l’autre en partageant son existence, d’une manière qui exclue tout abus à son égard.

Ce chemin, certes, c’est Dieu lui-même qui l’a pris pour nous l’ouvrir à sa suite. En se faisant homme, le Fils de Dieu est devenu notre Frère. Il a ainsi commencé par la fraternité, par la charité fraternelle, pour nous élever à l’égalité avec lui dans la liberté des enfants de Dieu. L’incarnation, mes amis, est le premier et le plus stupéfiant des abaissements du Verbe éternel. Accepter la croix, pour l’homme qu’il est devenu, est certes une immense humiliation ; moindre toutefois pour le Fils de Dieu que de condescendre à prendre notre chair de faiblesse et de péché. Pourtant, tandis que dans sa passion Jésus ne connaît que la tristesse infinie de la séparation - quoi que, Fils, il reste toujours uni au Père - dans l’Incarnation il goûte la joie merveilleuse de l’amour comblé, puisqu’il s’unit alors totalement à sa créature tant aimée.

Entrons dans la joie de ce dimanche de “Gaudete”, frères bien-aimés, en cette Eucharistie et sur tous les chemins de notre vie fraternelle. Alors nous connaîtrons l’enthousiasme des disciples remplis de l’Esprit Saint, plus délicieuse qu’aucune ivresse des choses de ce monde. Alors la fraternité de Dieu nous établira dans l’égalité entre nous et avec Lui par le partage de son amour infini, et nous connaîtrons sa liberté parfaite.